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  • Photo du rédacteurKelly

"Le bri-colage" des corps


Cette semaine, nous avons lu « Introduction aux techniques de danse moderne »[1] écrit par le chorégraphe et pédagogue Josua Legg qui nous propose un portrait vivant de « l’entraînement technique du danseur » tel qu’imaginé en danse moderne de 1880 à 1960. De Graham à Cunningham en passant par Humphrey, Dunham, Horton, Limon ou Taylor, ce livre retrace l’histoire et l’évolution des façons d’apprendre et de transmettre la danse tant au niveau théorique que pratique. Ce livre est disponible au prêt dans notre bibliodanse, l’occasion de le parcourir en toute simplicité !


Ne vous fiez pas à son imposante allure, car ses 252 pages sont illustrées par de nombreuses photographies d’archives accompagnées par des plans de « leçon de pratique » qui vous permettront de parcourir en détail des exemples concrets de « cours types » menés et imaginés par les grands pionniers de la modernité. L’occasion ici de comprendre et de visualiser l’ensemble des processus qui se sont développés sur plusieurs années grâce à de nombreuses filiations et connivences entre les artistes : Exit le mythe d’un créateur individuel qui ouvre à lui seul la voie à une nouvelle forme expressive et qui serait déconnecté de son environnement et des autres…Cette approche comparative vous permettra de chercher les similitudes, les points de ruptures et les continuités dans les visions des plus grands « maîtres de la modernité ». De même que l’interconnexion de leurs histoires personnelles à l’Histoire, l’auteur cherche aussi à montrer le développement progressif de la modernité en danse dans une perspective sociopolitique qui permet de créer des liens directs entre notamment création d’une « école » de danse et financement des « institutions » culturelles (privées ou publiques).


La danse moderne est née du rejet de l’académisme dans une réelle volonté « d’anticonformisme » dont la postmodernité, puis la danse contemporaine ensuite, en sont les héritières. Toutefois, la plupart des techniques issues de la modernité sont devenues à leur tour des grands « classiques incontournables » pour de bonnes raisons tant elles ont été brillantes dans leur conception et parce qu’elles nous convient à réinterroger notre présent ! Elles m’invitent moi-même à me poser la question du rôle de l’artiste aujourd’hui dans son rapport à la transmission : À l’âge d’or de la modernité, on ne distinguait pas chorégraphe et pédagogue puisque le développement d’une technique, d’une « marque de fabrique » ou encore d’une « couleur de mouvement » permettait d’accéder à la reconnaissance et la notoriété. De la même façon que le soutien à la création n’existait pas et, pour un ensemble de raisons évidentes, les artistes se devaient d’enseigner pour jouir d’un temps de création artistique ; De ce fait, un lien fort entre propos artistique et pédagogie se tissait… Cette relation qui pourrait passer pour un « assujettissement » aujourd’hui mérite tout de même réflexion : comment garder une trace d’une écriture du geste dansé, d’une esthétique particulière, d’une vision, d’une « signature » d’un chorégraphe si le travail de ce dernier n’est pas étudié pour être enseigné et transmis au plus grand nombre, et pas dans l’ombre d’un entre-soi de danseurs sélectionnés ? Transmettre quoi, à qui et comment ? Quel est par ailleurs le rôle et le devoir d’un enseignant de la danse ? Comment devenir des « passeurs de culture chorégraphique » sans avoir pu parcourir corporellement tous les chemins de ces chorégraphes singuliers ? Vaste sujet qui nous renvoie directement aux travaux d’Isabelle Launay et Sylvianne Pagès[2] pour celles et ceux qui s’intéresseraient à la « survivance d’un patrimoine en danse ». Plus largement, un questionnement qui alimente le débat sans fin autour de la dichotomie qui oppose la « culture savante », « élitiste » à la « culture populaire », appartenant à chacun[3] (conservatoire vs association…ministère de la culture vs ministère jeunesse et des sports…)


À la fin de l’ouvrage, Josua Legg s’interroge sur ce que serait devenue la formation idéale d’un danseur aujourd’hui et nous propose quelques pistes de réflexion : l’exploration, l’improvisation, la notion de processus, la répétition dans un projet de création, remplaceraient les notions de « cours techniques » et « d’entrainement » ? Les danseurs s’entraînent d’ailleurs toujours dans le contexte de leur époque et sont amenés à traverser d’autres pratiques, notamment somatiques, pour nourrir et affiner leur perception, leur proprioception…On parle d’ailleurs moins d’une construction que d’une réelle déconstruction des corps progressive, l’auteur utilise le terme de « bricolage » du corps pour définir les façons de se former dès l’ère de la postmodernité : une disposition de couches de pratiques disparates les unes sur les autres au sein d’un même corps : yoga, classique, arts martiaux, Pilates, Feldenkrais, Jazz, improvisation, atelier, Alexander, barre au sol, macramé ?…Des disciplines qui se juxtaposeraient selon un calendrier créé et structuré pour chaque danseur, selon ses besoins propres, individuels. Et vous, avez-vous trouvé un système ou un équilibre dans votre pratique qui vous aide à atteindre vos objectifs de danseur ?



[1] Joshua Legg, introduction aux techniques de danse moderne, collection Danse, Édition Gremese, 252p, aout 2020 [2] Lire le volume « Mémoires et histoire en danse » sous la direction d’Isabelle Launay et Sylviane Pages [3] Lire les travaux de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, coauteurs notamment de Le savant et le populaire.

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